Une marque renommée comme Chanel bénéficie d’une protection élargie. Cette protection élargie lui permet de s’opposer au dépôt d’une marque similaire ou identique même si ce dépôt vise des classes de produits ou services différentes.
Mais cela ne la dispense pas de démontrer que les signes sont similaires ou identiques.
Le Tribunal de l’Union Européenne a rendu une décision le 21 avril 2021 qui rappelle ce principe.
Dans cette affaire, Huawei avait demandé l’enregistrement en tant que marque de l’Union Européenne devant l’EUIPO du signe figuratif suivant pour des produits de la classe 9 :
Chanel avait fait opposition sur le fondement de la marque figurative antérieure déposée pour les produits de la classe 9 :
et sur le fondement de la marque figurative antérieure suivante déposée pour les produits des classes 3,14,18,25 :
1° La protection élargie applicable à une marque renommée
Le principe de la protection élargie
Le titulaire d’une marque antérieure peut former opposition au dépôt d’une marque identique ou similaire à la sienne. Si la marque antérieure est une marque renommée, l’enregistrement sera refusé sans rechercher si les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires.
Ce principe s’applique :
– lorsque la marque antérieure est une marque de l’Union européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union européenne ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État membre concerné,
– et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice.
Les conditions de la protection élargie
Pour bénéficier de la protection élargie, il faut réunir trois conditions cumulatives :
– l’identité ou la similitude des marques en conflit,
– l’existence d’une renommée de la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition
– l’existence d’un risque que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice.
L’identité ou la similitude des signes demeure donc la condition essentielle pour bénéficier de la protection.
2° L’appréciation de l’identité ou de la similitude des signes
Le risque de confusion n’est pas nécessaire
Le tribunal rappelle qu’il n’est pas nécessaire de démontrer un risque de confusion entre la marque antérieure renommée et la marque demandée. Il suffit que le degré de similitude entre ces deux marques ait pour effet que le public concerné établisse un lien entre elles.
Les critères d’appréciation de l’identité et de la similitude
L’appréciation de l’identité et de la similitude se fait sur les plans visuel, phonétique et conceptuel. Elle est fondée sur l’impression d’ensemble produite par les signes en conflit. On tient compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants
Par ailleurs, les signes sont comparés dans la forme dans laquelle ils sont protégés. C’est-la forme dans laquelle ils sont enregistrés ou demandés qui est prise en compte. Peu importe l’usage réel sous une autre forme qui peut en être fait, par exemple toute éventuelle rotation lors de leur utilisation sur le marché (rotation à 90° du signe de Huawei).
L’absence d’identité ou de similitude
Le Tribunal apprécie globalement les marques en conflit. Dans ce cas, il considère qu’elles sont différentes sur le plan visuel, en dépit de la présence commune de deux courbes entrelacées au sein d’un cercle de couleur noire. Il considère par ailleurs ce dernier comme un élément géométrique banal
Le Tribunal relève que pour le logo de Chanel, ce sont les initiales stylisées de la fondatrice de la société qui sont décelées. Or, dans le logo de Huawei, c’est la lettre « h » stylisée ou les deux lettres « u » entrelacées qui sont perçues. Dès lors, les deux marques sont différentes sur le plan conceptuel.
Il juge enfin que les courbes contenues dans le logo de Huawei forment un agencement et des proportions spécifiques qui ne se retrouvent pas dans la marque Chanel.
Même si les marques en conflit ont toutes les deux des courbes entrelacées de couleur noire se croisant en miroir inversé, avec une ellipse centrale résultant de l’entrecroisement des courbes, elles ne sont pas similaires sur le plan visuel.
Par conséquent, le Tribunal, sans avoir à juger de la renommée de la marque Chanel ni du profit tiré indûment par Huawei, rejette l’opposition de Chanel.
Avant de déposer une marque, notamment un logo, une recherche et une analyse des marques antérieures sont indispensables pour éviter les conflits.